Le président français l’a annoncé le 14 décembre : les 149 propositions élaborées par la Convention citoyenne pour le climat, destinées à être reprises “sans filtre”, donneront finalement lieu à un référendum proposant l’introduction dans la Constitution d’un engagement de la République à préserver l’environnement. Faut-il saluer cette invitation à un exercice de démocratie directe ou dénoncer un “gadget” ? La presse étrangère en débat.
OUI Un peu d’air pour la démocratie
— Le Temps, Lausanne
Rien ne dit que le référendum proposé le lundi 14 décembre par Emmanuel Macron aux membres de la Convention citoyenne sur le climat deviendra réalité avant la fin de son mandat, en mai 2022. La réforme envisagée du préambule de la Constitution française, pour y ajouter le fait que “la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique”, reste en effet pour l’heure très théorique.
Il faudra, pour passer à l’acte et soumettre cette formulation aux électeurs, que l’Assemblée nationale et le Sénat votent en termes identiques le projet de loi constitutionnel annoncé pour janvier, en parallèle au texte supposé reprendre 40 % des mesures proposées par les “conventionnels” tirés au sort (au terme de leurs huit mois de débats et d’auditions entre octobre 2019 et juin 2020). La bataille sera donc politique. Avec, dans le collimateur, la campagne présidentielle : pas sûr que l’opposition de droite, qui contrôle la Chambre haute, veuille donner au chef de l’État les moyens d’achever sa présidence sur une note si participative.
L’impact des “gilets jaunes”
Qu’une telle initiative référendaire autour du climat s’achève dans le maquis politicien et parlementaire hexagonal serait toutefois regrettable. D’abord parce que cela empêcherait un vigoureux débat au sein de la population sur le rapport entre questions écologiques et grands principes républicains. Ensuite parce que cela signifierait qu’une fois encore le couvercle se referme sur la démocratie directe dans un pays où celle-ci rime pourtant avec espoir.
Publié en mars 2020, le baromètre de la confiance politique de Sciences Po a montré que deux Français sur trois pensent que leur démocratie fonctionne mal. Selon l’institut Via Voice, 75 % des sondés souhaitaient par ailleurs en 2016 – avant la crise des “gilets jaunes” marquée par l’aspiration au référendum d’initiative citoyenne – que les consultations référendaires soient plus nombreuses. Bref : l’idée de se rendre aux urnes pour répondre à des questions concrètes plutôt que pour élire des représentants plaît aux électeurs français. Continuer à le nier n’est guère défendable…
L’autre vertu d’un référendum climatique serait de crédibiliser la démarche participative de la Convention pour le climat. Née du “grand débat national” lancé par Emmanuel Macron en janvier 2019 pour éteindre l’incendie social et territorial des “gilets jaunes”, cette réunion de Français ordinaires, priés de cogiter sur les mesures à adopter pour faire changer les choses, a permis de mettre le couteau législatif dans la plaie.
Des questions aussi lestées de conflits d’intérêts que les transports en commun, la construction de nouveaux aéroports, l’utilisation d’engrais ou même les menus végétariens dans les cantines ont été passées au crible, après l’audition d’experts. Rassemblés à Paris au Conseil social et environnemental, les “conventionnels” ont débattu de l’impact de leurs propositions. Rien n’est possible, sur un sujet comme le climat qui impacte l’ensemble de nos habitudes, sans une force motrice populaire appuyée sur une lucide compréhension du monde et des conséquences, notamment en matière d’emplois. Cette convention climatique peut servir de modèle.
L’intérêt général
L’ultime raison de plaider pour qu’un référendum constitutionnel aboutisse en France est qu’il obligera les électeurs à se poser, via la modification de la loi fondamentale, la question de l’intérêt général. Les Français sont-ils prêts à se plier à une discipline écologique ? Y voient-ils un devoir démocratique ?
Emmanuel Macron avait, dès juin 2020, rejeté la proposition de modifier le préambule de la Constitution pour y rajouter l’alinéa suivant : “La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité.” Pas question, avait-il argué, de “placer la protection de l’environnement au-dessus des libertés publiques. Ce serait contraire à notre texte constitutionnel, à l’esprit de nos valeurs.” Le débat référendaire sur la modification de l’article 1 de ce même texte, s’il a lieu, sera pour les Français l’occasion de s’approprier cette interrogation. Et pour la France, fidèle à sa tradition, de faire œuvre pionnière sur un sujet universel.
– Richard Werly, publié le 16 décembre –
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NON C’est une entourloupe
— Le Matin d’Algérie, Alger
Les Constitutions dans les régimes autoritaires ne servent à rien sinon à enrober l’inacceptable dans un costume à apparence juridique et démocratique, je ne les commente jamais. En revanche, il est des projets de révision constitutionnelle dans les autres horizons politiques qui sont également un moyen de diversion politique. Celui que propose le président Emmanuel Macron en est la parfaite illustration.
Le président de la République vient, avec fracas, d’annoncer aux membres de la Convention citoyenne pour le climat qu’il allait organiser un référendum pour introduire dans la Constitution l’obligation d’une politique visant à respecter l’environnement. Cette idée semblerait à beaucoup une excellente proposition visant à s’attaquer enfin au véritable défi auquel est confrontée l’humanité. Effectivement, personne ne pourrait critiquer un tel projet dans son fond.
Oui mais voilà, si le droit est sous l’autorité du politique quant à son écriture, il ne se laisse pas si facilement emprisonner dans l’enthousiasme et les ficelles de ce dernier, à moins de s’abandonner aux bras des populismes.
Essayons de tenter un argumentaire sur le fond avant de revenir sur les grossières ficelles de cette annonce fracassante.
La lutte contre la pollution n’est pas un objet juridique
Le sentiment, le concept, la morale, la doctrine ou l’objectif politique ou économique ne sont pas des objets juridiques. Ils n’ont pas de matérialité suffisante pour être circonscrits dans une rigoureuse définition et contrôlés pour leur bonne conformité et application de la norme juridique fixée.
Ils sont fondamentaux en amont du processus législatif ou constitutionnel, c’est eux qui impulsent et bâtissent les fondements du droit mais ils ne sont en aucun cas transcrits dans le droit dans la forme de l’enthousiasme des emportées lyriques du discours politique et des rêves de la société.
Bien entendu que leur inscription sous cette forme est toujours possible, mais ils ne seraient que de pure forme. Et lorsque le droit est tenté de jouer avec ce genre d’artifice – soit un écran de fumée –, il n’est pas loin de donner l’opportunité aux citoyens de l’ignorer et d’enlever tout sens au texte constitutionnel. Car ce qui ne fait pas l’objet d’une définition rigoureuse ne peut être appréhendé par le droit. C’est comme si on inscrivait dans la Constitution que le peuple doit être gentil, que les oiseaux doivent chanter ou que la soupe doit être chaude.
Comment définir une lutte contre la pollution ? Sur quel critère la juger et qui contrôlerait sa conformité à la règle constitutionnelle ? Qui déterminerait l’atteinte des objectifs ? Qui contrôlerait la légalité constitutionnelle ?
La démocratie directe, une mythe aussi ancien que la Grèce antique
En démocratie, ce sont les représentants du peuple qui “font la loi” par réponse à l’expression de la diversité dans le débat et de la majorité dans le vote. Ce vote s’exprimant pour des représentants choisis par les citoyens, à condition que le choix soit libre et éclairé. C’est ce qu’on appelle la démocratie indirecte, celle qui est la plus efficace et la plus répandue car on ne peut faire voter des dizaines de millions de personnes pour un projet politique ou un texte de loi.
Le processus de dynamisation et de démocratie profonde est en revanche l’affaire des partis politiques, des associations, des humeurs collectives, des écrits des érudits ou des scientifiques qui organisent et impulsent le choix politique de chacun, dans une diversité foisonnante et qui se termine, au final, dans la solitude et la liberté du choix individuel par le bulletin de vote.
La démocratie directe a ses charmes, parfois utilisée couramment comme l’éternel exemple suisse, mais elle a ses limites, souvent dangereuses. Le mythe du forum et de l’agora dans la démocratie grecque n’est qu’une vue de l’esprit.
Tout d’abord par l’argument que nous avons déjà précisé, l’impossibilité d’organiser le débat au niveau de la nation de cette manière. Puis, il ne faut jamais l’oublier, la Grèce antique n’a été démocratique que dans le fantasme de la mémoire collective. Sous une apparence lyrique et mythique du débat se cachaient une nation épouvantablement ségrégationniste et une société dont les valeurs étaient entièrement marquées par la noblesse de la guerre et de la conquête territoriale, souvent à l’intérieur de la nation elle-même.
La démocratie directe, sans précaution et garde-fous, c’est le risque de l’expression de la violence des sentiments, des rancœurs et des extrêmes. C’est l’ouverture sans filtre aux bas instincts et aux refoulements. C’est la démocratie de la rue qui, lorsque le régime n’est pas une dictature, représente le plus grand danger pour la démocratie. Et, lorsque le régime est autoritaire, c’est le champ ouvert à tous les populismes dont la définition est de dénoncer l’élite comme une cible à contourner ou à éliminer. Une terrible tentation pour les grands dictateurs sanguinaires qui utilisent les bas instincts et la frustration pour mieux régner en maîtres.
Bien entendu qu’avec le président français nous sommes loin de ce cas de figure, très loin. Mais dans les démocraties, la tentation est toujours présente d’utiliser un brin de populisme pour atteindre son objectif politique ou de faire diversion.
Quel est l’objectif de cette tentative de diversion ?
Alors que la pandémie est au pic de son effet désastreux, que les autorités sanitaires et gouvernementales sont dans une panique monstre et que l’économie est dans un tunnel d’endettement vertigineux, le président de la République ne trouve rien d’autre à proposer… qu’un référendum sur la politique du climat. C’est comme si, dans une terrible catastrophe provoquée par des inondations dévastatrices, on proposait une compétition de kayak pour susciter l’optimisme des esprits et les encourager à surmonter le drame.
Comme le président Macron n’a pas perdu l’esprit, il y a donc bien une explication à cette incongruité. Et lorsqu’un homme politique intelligent se lance dans ce genre d’élucubrations, c’est qu’il y a toujours, pas loin, des élections.
Il avait créé cette institution, la Convention citoyenne pour le climat, avec des membres tirés au sort, comme un camouflet aux élus de la République, parce que le mouvement mondial pour la préservation de l’environnement avait explosé dans le monde, particulièrement par l’extraordinaire participation et expression des jeunes citoyens de toutes nationalités.
Mais pour faire peur à un homme politique et lui faire prendre conscience, il faut aussi des dangers plus proches, plus palpables. Emmanuel Macron les a perçus avec la montée fulgurante du mouvement politique du parti écologiste français dont la cote de popularité comme des résultats électoraux n’ont jamais été aussi élevés.
Contesté pour son silence sur les questions écologiques lors de sa campagne électorale, rien de plus trompeur que créer cette Convention, inutile et populiste. Mais lorsque le premier enthousiasme de ces personnes tirées au sort, ce qui est le comble de la démocratie, s’est dissipé, ils se sont aperçus que leurs propositions n’avaient été reprises dans le dispositif législatif que dans la portion minuscule de leur dimension, alors la grogne a pris le relais.
Et lorsque la grogne est là, pour un sujet si sensible que l’écologie, une nouvelle grande force politique, il faut une décision à la hauteur du risque politique. Le référendum en est une, en tout cas un pari du président de la République qui croit qu’elle en est une.
Un risque en boomerang
C’est incroyable ce que les gens dotés d’une très grande intelligence, ce qui est véritablement le cas pour le président Macron, peuvent perdre le sens du discernement et de la mémoire lorsque le pouvoir politique, qu’ils ont recherché avec force et talent, leur échappe. Le plus inconnu des citoyens, sans être un analyste en droit ou en sociologie politique, sait que le référendum, arme suprême de la Ve République, s’est toujours retourné contre ses initiateurs.
Depuis le référendum pour l’indépendance de l’Algérie ou celui de l’instauration de la Ve République en 1958 (et celui de sa modification en 1962), les citoyens n’ont jamais plus répondu dans un référendum à la question qui leur était posée mais à la personne qui leur a posé la question. Et comme les référendums sont proposés, par nature et par calcul politique, pour un sujet controversé ou pour dévier l’attention des problèmes et des troubles du moment, le boomerang revient vers les initiateurs.
– Sid Lakhdar Boumediene (enseignant), publié le 16 décembre –
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