Le harcèlement de rue, quotidien des femmes sur les trottoirs

Le ministère des Droits des femmes a lancé ce lundi 9 novembre sa campagne contre le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles dans les transports en commun. La secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes, Pascale Boistard, a rappelé que « la frontière entre la drague et le harcèlement, c’est le consentement ». Et c’est justement cette distinction qui se brouille dans les transports en commun comme sur les trottoirs, espaces propices aux harcèlements sexistes.

Les réseaux sociaux sont le lieu privilégié d’initiatives citoyennes pour sensibiliser les internautes aux violences dont sont victimes les femmes dans l’espace public. Le tumblr « Paye ta Shnek », lancé par Anaïs Bourdet, se veut être une compilation des phrases les plus vulgaires régulièrement entendues dans l’espace public. Des femmes venant de toute la France témoignent ainsi des phrases de drague, d’injure et de discrimination dont elles sont victimes. Toutes soulèvent cette question de la représentation de la femme et des insultes devenues quotidiennes.

Un témoignage recueilli sur le tumblr Paye Ta Schnek / 8 septembre 2015
Un témoignage recueilli sur le tumblr Paye Ta Schnek / 8 septembre 2015

Dans le but d’exposer ces agressions sexistes, nous avons recueilli des témoignages de harcèlement de rue sur un compte instagram « Rends-moi Mon trottoir ». Des mots, des photos de pieds pour mettre en exergue cette violence physique et verbale qui occupe l’espace commun. Voici quelques exemples de témoignages récoltés cette semaine :

Témoignage de Léa, 25 ans. / Rendsmoimontrottoir, 11 novembre 2015
Témoignage de Léa, 25 ans. / Rendsmoimontrottoir, 11 novembre 2015
Témoignage de Claire, 23 ans / rendsmoimontrottoir, 8 novembre 2015
Témoignage de Claire, 23 ans / Rendsmoimontrottoir, 8 novembre 2015

Un usage genré différencié de la rue

Dans une étude du CNRS, L’usage de la ville par les femmes, Cécile Rasselet dénonce un usage de la ville différent selon les genres : les trottoirs sont un lieu de passage pour les femmes, un espace de loisir pour les hommes. Les femmes auraient tendance à ne pas s’attribuer l’espace public comme un espace à part entière. Les trottoirs apparaissent comme un lieu de transport à éviter dans certaines circonstances : la solitude, le soir et le manque d’éclairage participeraient du sentiment de peur que peuvent ressentir les femmes sur les trottoirs. Héloïse Duché, co-fondatrice du collectif Stop au Harcèlement de rue, nous confie par ailleurs que « dans l’espace urbain, les femmes ont une présence plus cachée, et surtout moins à l’aise. On est enjointe à avoir peur ».

En 2012, la journaliste Fanny Arlandis dénonçait déjà la rue comme espace proprement masculin, fait par et pour les hommes. La pratique singulière des femmes sur le trottoir s’expliquerait en grande partie par les injures qu’elles reçoivent quotidiennement. En effet, « une femme seule est trois fois plus abordée dans la rue qu’un homme. Parfois sympathiques, ces rencontres peuvent s’avérer désagréables et provoquer un sentiment d’insécurité ».

Témoignage de Laurine, 23 ans / Rendsmoimontrottoir, 8 novembre 2015
Témoignage de Laurine, 23 ans / Rendsmoimontrottoir, 8 novembre 2015

Des initiatives contre les insultes intempestives et pour la réappropriation des trottoirs par les femmes

Afin de lutter contre la confiscation des trottoirs par le genre masculin, de nombreuses initiatives ont émergé ces dernières années. En 2014, le collectif Stop Au Harcèlement de Rue a mis en œuvre une campagne de sensibilisation au sein d’une rue parisienne, rue de la Lappe (Paris, 11e arrondissement), renommée « zone anti-relous ». Lors de cette campagne, des affiches ont été placardées dans certains bars et des pamphlets distribués aux passants afin de les sensibiliser aux remarques dont les femmes peuvent être l’objet. Il s’agissait de s’adresser tant aux victimes de harcèlement qu’aux témoins. Selon Héloïse Duché, « il faut pouvoir définir et mesurer le phénomène. Ensuite, il y a des mesures qui ont fait leurs preuves à l’étranger, comme le fait d’arrêter les bus à des stops à la demande, ou de sensibiliser les témoins et les victimes au fait qu’elles peuvent tirer des signaux d’alarme. On peut aussi éduquer les femmes à se sentir autonomes dans l’espace public et à avoir la capacité de se défendre ».

En France, l’association France Médiation expérimente des marches exploratrices la nuit auprès de douze quartiers désignés comme prioritaires. Selon le service presse de Pascale Boistard, « on essaie de voir dans des quartiers comment on peut travailler sur l’éclairage et la présence humaine pour améliorer la situation des femmes ». L’objectif est de repenser l’espace urbain dans une perspective genrée. Héloïse Duché critique cependant ces marches qui demandent aux femmes « de sécuriser elles-mêmes leur espace et à établir le contrôle social. Ca ne voit pas les choses en grand. Il faudrait pouvoir prendre en compte toutes les identités, pas seulement celle des femmes ».

Témoignage de Claire, 22 ans / Rendsmoimontrottoir, 10 novembre 2015
Témoignage de Claire, 22 ans / Rendsmoimontrottoir, 10 novembre 2015

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