Rixes entre bandes, règlements de comptes entre ados : les faits tragiques se succèdent. Le gouvernement promet de prendre le problème à bras-le-corps.
Des ados frappés à mort. Des rixes entre bandes rivales, toutes plus violentes les unes que les autres. La France est devenue le théâtre quasi quotidien de dramatiques faits divers impliquant des mineurs. Pour la seule journée de lundi, le corps d’une adolescente de 14 ans a été retrouvé dans la Seine à Argenteuil, au nord de Paris, victime de deux autres jeunes, tandis qu’à Champigny-sur-Marne, en banlieue sud-est, deux collégiens de 14 et 15 ans, frappés à coups de couteau lors d’une rixe entre bandes, ont été hospitalisés en urgence absolue. Le lendemain, c’est même dans le très chic XVIe arrondissement parisien que la violence a sévi. Des bagarres entre plusieurs dizaines de jeunes ont fait cinq blessés à l’arme blanche. La capitale avait déjà été frappée en janvier lorsqu’un jeune de 15 ans avait été passé à tabac avec une violence inouïe lors d’une bagarre entre bandes à Beaugrenelle, non loin de la tour Eiffel.
L’opinion est sous le choc et la classe politique verse dans la surenchère. Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, parlait déjà il y a quelques mois d’un été “Orange mécanique”. Marine Le Pen, la présidente du RN, dénonce une “barbarie”. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, parle de l’“ensauvagement” d’une partie du pays.
Les mêmes mécaniques d’affrontement
À l’Élysée, en évoque des tensions sans doute exacerbées par la crise sanitaire et le couvre-feu, qui s’abat à 18 heures dans tout le pays. Les coups de pied donnés dans la fourmilière des trafics pourraient aussi être à l’origine de ces faits tragiques, veut-on croire.
Mais y a-t-il seulement explosion de la violence ? Le sociologue Sébastian Roché, directeur de recherches au CNRS, met en garde contre la loi des séries et remet les choses en perspective. “Plusieurs avions peuvent s’écraser, alors que, globalement, la sécurité aérienne se renforce. C’est pareil ici. Les faits sont établis. On ne peut donc pas parler de trompe-l’œil. Mais la vérité, c’est que cette délinquance est aussi ancienne que l’histoire de la criminologie, nuance ce spécialiste. Il y a quelques années déjà, deux filles avaient brûlé vive la rivale de l’une d’elles. À chaque fois, ce sont deux mêmes mécaniques d’affrontement. Soit il s’agit de rivalités économiques autour d’un commerce illicite (le trafic de drogue et d’objets volés), soit il s’agit de défis ou de conflits ‘d’honneur’.”
Les réseaux sociaux exacerbent les conflits. Mais ils ne sont pas à eux seuls responsables d’une dérive ultraviolente. “La mécanique du passage à l’acte reste individuelle”, souligne Sébastian Roché. “Un certain nombre de barrières morales doivent s’écrouler. Tous ceux qui visionnent des vidéos de Daech ne s’engagent pas dans les rangs de l’État islamique. Ces faits d’une violence extrême suscitent à chaque fois une grande émotion. Mais le fait est que, en France comme dans toute l’Europe, la délinquance des mineurs reflue, poursuit le chercheur. Ce qui augmente en réalité, c’est la sensibilité de la société vis-à-vis de ces faits. Certaines violences sont perçues comme plus intolérables qu’avant. C’est le cas des agressions sexuelles, de la violence intrafamiliale et des crimes pédophiles.”
“Les sauvageons et la racaille”
En 1978, Michel Berger avait déjà tout résumé dans sa chanson Quand on arrive en ville. La délinquance n’a pas changé de géographie. Si elle frappe désormais partout, y compris dans les beaux quartiers de Paris, l’origine de ses auteurs reste la même. “Ce sont les zones qui cumulent à la fois la pauvreté et une certaine concentration, qui favorise les vocations par l’apprentissage, analyse encore Sébastian Roché. Ce qui explique que les zones rurales, où la pauvreté sévit aussi, sont moins concernées.”
La violence des mineurs était déjà telle il y a plus de vingt ans que Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, avait dénoncé en 1998 les “sauvageons”. Et c’est à Argenteuil, où le corps d’une adolescente vient d’être repêché dans la Seine, que Nicolas Sarkozy avait promis en 2005 aux habitants de se débarrasser de la “racaille”.
Mais si le phénomène est ancien, l’exaspération de l’opinion est à son comble. L’insécurité est ainsi l’un des principaux sujets de préoccupation des Français, derrière la crise sanitaire. Emmanuel Macron l’a bien compris qui, à un an de la présidentielle, cherche à montrer sa fermeté. Alors que les préfets ont remis une série de propositions, le Premier ministre, Jean Castex, réunira vendredi les principaux ministres concernés. En moins de deux mois, pour le 1er mai prochain, le gouvernement a promis d’accoucher d’un plan contre la “guerre des bandes”.