Le Parlement français examine un projet de loi sur les néonicotinoïdes. Interdits depuis 2018 pour être nocifs pour les abeilles, ces insecticides pourraient être temporairement réintroduits pour sauver la culture de la betterave, utilisée pour fabriquer du sucre. La controverse est servie.

Tenir une promesse environnementale ou sauver des emplois dans le contexte de la crise économique? C'est le casse-tête que devront définir les députés qui examinent un projet de loi qui permettrait la réintroduction des néonicotinoïdes.

Ce puissant insecticide est interdit en France depuis 2018 "pour lutter contre le déclin massif des colonies d'abeilles et de pollinisateurs sauvages", comme l'avait annoncé à l'époque le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.

Avec le projet de loi qui permet «l'utilisation temporaire et encadrée» de ces insecticides, le gouvernement est accusé de diffuser son message sur la transition écologique. D'une part, les agriculteurs préconisent sa réintroduction pour sauver l'industrie de la betterave, utilisée pour fabriquer du sucre. D'un autre côté, les écologistes rejettent fermement cette possibilité.

La production de betteraves est réduite de 15% en 2020

Si les députés examinent la possibilité de réintroduire les néonicotinoïdes en France, c'est parce qu'il y a urgence, selon les betteraviers. Après un hiver et un printemps très chauds, un puceron vert prolifère, vecteur d'une maladie qui affaiblit les plantes. Et les betteraves, qui sont cultivées à partir de graines non enduites d'insecticide, sont affectées par la «jaunisse».

Un désastre pour les producteurs. Selon les données publiées le 1er septembre par Agreste, le portail statistique du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, la production de betteraves sucrières a diminué de 15,4% par rapport à l'année dernière et de 16,2% par rapport à la moyenne de 2015-2019. Ceci, selon Agreste, était dû à "la sécheresse et les attaques de pucerons".

Au moment des récoltes, début septembre, les producteurs ont sonné l'alarme. "Prélèvement sur ma parcelle de betteraves. Estimation à 32 tonnes par hectare. Si l'on élimine celles qui sont trop petites pour être cueillies, cela se réduit à 24 tonnes par hectare", confie dans un panique Maxime Buizard, agriculteur du Loiret, région de La Centre de la France.

Un projet de loi pour sauver l'industrie sucrière

Quelque 46 000 emplois directs, dont 25 000 agriculteurs, sont désormais menacés, sans parler des emplois indirects. Et c'est qu'après la betterave, c'est l'industrie sucrière, un secteur que de nombreux députés cherchent à protéger.

La France compte 21 sucreries, ce qui en fait le premier producteur de sucre en Europe. Mais le secteur est sous pression depuis la suppression du régime européen des quotas sucriers en 2017. Prévu pour développer les exportations, il a en effet rapidement baissé les prix du sucre de 50%.

Dans un contexte de vive concurrence entre le sucre du Brésil et de l'Inde, sept usines ont déjà fermé en Europe, dont quatre en France. Cependant, pour concurrencer ces exportateurs, l'industrie doit compter sur les produits chimiques. Et les néonicotinoïdes sont le seul produit qui aide à contrôler les pucerons verts.

Par conséquent, le gouvernement souhaite accorder une dérogation au secteur, en s'appuyant sur le règlement européen sur les produits phytosanitaires qui permet de lever l'interdiction en l'absence d'alternative. «C'est une question de souveraineté», souligne le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, à l'heure où 11 pays producteurs en Europe ont autorisé des dérogations pour les néonicotinoïdes.

«De nombreux planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves. Si les sucreries ferment, toute l'industrie de la betterave pourrait disparaître en une ou deux saisons », fait valoir le ministre.

"Un malentendu historique"

Mais, à leur tour, ce sont les écologistes qui préviennent les parlementaires. La forte toxicité de cet insecticide a été prouvée par de nombreuses études et c'est pourquoi il a été interdit en France en 2018. La substance attaque le système nerveux des abeilles et les désoriente lors de la pollinisation des cultures.

Cet insecticide a causé la disparition des trois quarts des insectes volants en 30 ans. Les écologistes dénoncent un projet de loi qui ne prolongerait de toute façon que brièvement la vie d'un secteur condamné. "Pourquoi ne pas l'abandonner complètement?", Soutiennent les opposants à l'initiative. Les écologistes et la gauche estiment que le projet de loi, conçu selon eux "sous la pression des lobbies agricoles", est un "grand revers démocratique" et un "malentendu historique".

"Je demande aux députés de ne pas voter sur cette loi sur les néonicotinoïdes", a supplié, lundi matin au micro de la station "Europe 1", le député européen d'Europe Ecologie Les Verts, Yannick Jadot. "Je vous demande de ne pas subir de pressions de la part des groupes de pression sur les pesticides, je vous demande d'être responsable envers tous les citoyens."

Les écologistes proposent un débouché bio, de qualité et rémunéré aux producteurs pendant que la transition s'organise. Dimanche, l'ancien ministre de l'Écologie Nicolas Hulot a appelé, dans le média «Journal du Dimanche», «les députés à ne pas voter (le projet)». «Ma fondation a estimé les pertes pour cette année à 77 millions d'euros pour les betteraves. Compensons-les en échange de la mise en place de pratiques: allongement des rotations, réintroduction de haies », a-t-il suggéré.

"Exposition humaine à des produits de toxicité sévère"

L'ONG Générations Futures met le doigt sur la plaie sur les risques sanitaires de cet insecticide, dont elle a retrouvé des traces dans plus de 10% des échantillons d'aliments d'origine végétale contrôlés en 2017.

"Cette question de l'exposition humaine à des produits qui ne sont pas totalement sûrs au regard de leur toxicité est préoccupante", a déclaré François Veillerette, directeur de l'ONG, rappelant que certains néonicotinoïdes sont soupçonnés d'être des perturbateurs endocriniens ou cancérigènes.

Par conséquent, il a appelé les députés à rejeter le texte, soulignant que l'Union européenne, qui a interdit plusieurs néonicotinoïdes, aurait néanmoins la possibilité de révoquer le texte s'il était adopté. Entre questions économiques et sanitaires, le débat s'annonce dur à l'Assemblée.

Cet article a été adapté de son original en français

Avec l'AFP

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