En 2021, une France en réanimation démocratique

En 2021, une France en réanimation démocratique

Sans une revitalisation du débat démocratique français en dehors des manifestations de rue ponctuées de violence, le pays et son gouvernement auront les plus grandes peines à surmonter les épreuves annoncées pour 2021, estime le quotidien suisse Le Temps.

Rien de tel qu’un Brexit “ordonné” pour redonner le moral à une France assommée – comme ses voisins européens – par le Covid-19 et la menace d’une troisième vague de contaminations. Vue de Paris, la signature ce mercredi 30 décembre 2020 de l’accord sur la future relation commerciale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni n’a pas tardé à relancer le “cocorico” républicain, avec Michel Barnier en vedette bruxelloise. Le scénario ? Une nouvelle Europe communautaire redeviendra possible demain, avec Paris à la manœuvre dans la cabine de pilotage. Le pitch, sur le papier, est presque parfait pour Emmanuel Macron, dont le mandat s’achèvera au premier semestre 2022, avec la présidence tournante française de l’Union à 27.

Oublions un instant la dette abyssale du pays – 2 674 milliards d’euros, soit 116,4% du produit intérieur brut au quatrième trimestre (contre 45 % du PIB pour la Suisse) – puisque tout le monde, aujourd’hui, signe des chèques astronomiques. Oublions aussi l’inconnue que fera peser, sur 2021, le remplacement d’Angela Merkel à la tête d’une Allemagne toujours discrète, mais résolue à ne pas lâcher les rênes de cette UE qu’elle écrase de sa puissance économique. Refermons vite la parenthèse de 2020 sur ces deux déstabilisateurs en chef à l’œuvre depuis quatre ans : Donald Trump à la Maison-Blanche et Boris Johnson, d’abord au parlement de Westminster puis au 10 Downing Street.

Une jolie chanson

Ce discours sur une France assurée de retrouver, l’an prochain, sa marge de manœuvre et sa pertinence est une jolie chanson. Optimiste. Positive. Rayonnante. Un peu comme ces chants de Noël signés Tino Rossi, que tout le monde écoute sans n’avoir jamais cru que le bonheur se résume aux guirlandes et aux cadeaux nichés sous le sapin. Car sauf à croire que le Père Noël a su trouver sa voie dans les cheminées de l’Elysée, une autre urgence, bien moins agréable à entendre, s’apprête à réapparaître sitôt la Saint-Sylvestre célébrée : celle d’une France en réanimation démocratique.

Est-il possible de se réjouir lorsque chaque manifestation de rue, ou presque, dégénère en bataille rangée entre policiers et manifestants ? Peut-on vraiment croire à la capacité du gouvernement à redonner confiance à la population alors qu’en quelques mois la nomination surprise de Jean Castex au poste de Premier ministre s’est vite transformée en machine à frustrations ? Et comment croire que les “Gaulois” chers à Emmanuel Macron cesseront demain d’être réfractaires et ingouvernables, alors que 60 % d’entre eux, selon les sondages, ne veulent pas entendre parler du vaccin anti-covid, un record parmi les pays riches ?

La réponse à toutes ces interrogations est simple : le grand besoin français, en 2021, est de retrouver de l’oxygène démocratique. Affronter avec succès les futurs enjeux économiques et sociaux (de l’explosion de la pauvreté à la propagation massive du chômage en temps de pandémie) exige débat, consensus et discipline. Le goût de la division et l’insatisfaction permanente mêlée de colère et de ressentiment ne pourront pas indéfiniment remplacer le besoin d’agir ensemble. Alors, qui pour ouvrir le bal ?

Besoin d’un décélérateur de tensions politiques

Il fut un temps où le Parti communiste français, celui dont on célèbre ces jours-ci le centième anniversaire de la naissance du congrès de Tours du 25 au 30 décembre 1920, avait le courage d’affirmer qu’“il faut savoir terminer une grève”. Maurice Thorez, l’auteur de cette fameuse phrase prononcée en 1936 lors de l’avènement historique du Front populaire, n’est certes pas une référence en termes d’indépendance, lui qui prenait ses consignes à Moscou. Son Journal 1952-1964, tout juste publié aux Editions Fayard, montre combien le secrétaire général du PC était aux ordres du Kremlin. Mais personne ne conteste, en revanche, le pragmatisme historique des communistes français. Ils furent les artisans des luttes. Mais ils surent aussi, lorsque les crises menaçaient d’emporter le pays, appuyer sur le frein. La France de 2021 a cruellement besoin d’un décélérateur de tensions politiques.

Dans l’Hexagone, 2021 ne pourra pas être une année de sortie de crise sanitaire et sociale sans que s’impose un minimum d’accord sur les ultimes réformes à entreprendre en fin de quinquennat. Emmanuel Macron, les yeux dans le viseur de la présidentielle d’avril-mai 2022, doit aussi le comprendre. Se positionner à droite toute sur le plan des valeurs, comme il l’a encore fait ces jours-ci dans L’Express, ne peut pas être sa seule réponse. La France de 2020 n’est pas un malade imaginaire. Elle sort blessée de cette année si “covidée”. Le réanimateur Macron, s’il ne veut pas l’asphyxier ou l’épuiser, devra apprendre, pour son pays comme pour l’Union européenne, à composer et à pacifier.

Richard Werly

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