A partir de ce mardi, c’est au tour des victimes de prendre la parole. Quelque 300 personnes témoigneront devant le tribunal pendant cinq semaines pour relater les horreurs qu’elles ont vécues lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015.

Depuis le début du procès, la voix tonitruante du prévenu, Salah Abdelslam, a retenti à plusieurs reprises dans la salle d’audience. Désormais, les survivants ont la possibilité de faire entendre leur voix. Suite au témoignage des enquêteurs, quelque 300 victimes des attentats (sur 1 800 parties civiles) prendront la parole.

Une quinzaine de personnes par jour tenteront de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu : d’abord, ceux qui étaient dans le Stade de France et ses alentours témoigneront, ensuite ceux qui étaient aux terrasses des cafés et restaurants qui ont été attaqués. Enfin, ceux qui étaient au théâtre du Bataclan décriront ce qui s’est passé cette nuit-là.

Les rescapés recevront un soutien psychologique et matériel des associations de défense pendant qu’ils revivent ce qui s’est passé. Des psychologues portant des gilets haute visibilité seront présents en permanence dans la salle d’audience spéciale de 550 places aménagée pour le procès.

Chacune des victimes aura une heure et demie pour raconter son histoire. Ce sera une tâche difficile et les associations de défense ont passé de nombreuses heures à les aider à se préparer.

« Nos premières rencontres avec les victimes remontent à avant la pandémie », a déclaré Philippe Duperron, président du groupe de défense des victimes N-13 Fraternité et Vérité, qui compte 400 membres. « Les victimes ont reçu un soutien psychologique et nous les avons aidées à se préparer à témoigner. C’est un exercice délicat qui demande beaucoup de préparation. C’est assez bouleversant de se retrouver à témoigner devant un tribunal avec tous les yeux rivés sur soi, y compris ceux de l’accusé, et il est difficile de garder ses émotions sous contrôle pour pouvoir parler », a-t-il condamné.

D’abord, « il fallait appeler les victimes à venir chez nous puis il fallait évaluer leur état d’esprit », a expliqué Marie-Claude Desjeux, présidente de la Fédération nationale des victimes d’attentats terroristes et d’accidents de masse (Fenvac), lorsqu’il a parlé à France 24.

L’organisation Paris Aide aux victimes, connue sous le nom de PAV75, a un processus similaire, a déclaré la directrice Carole Damiani à France 24. « D’abord, nous avons dû envoyer un questionnaire pour évaluer les besoins des victimes, puis nous avons organisé des réunions et des consultations et nous quelqu’un de service tout l’été. »

Le principal suspect des attentats de Paris en novembre 2015, Salah Abdeslam, est assis entouré de policiers spéciaux belges dans la salle d'audience du palais de justice de Bruxelles pour l'ouverture de son procès, le 5 février 2018.
Le principal suspect des attentats de Paris en novembre 2015, Salah Abdeslam, est assis entouré de policiers spéciaux belges dans la salle d’audience du palais de justice de Bruxelles pour l’ouverture de son procès, le 5 février 2018. © Emmanuel Dunand, AFP

Groupes de soutien

Les groupes de soutien sont au cœur du travail de la plupart des associations de victimes.

« Ces groupes sont le premier endroit où les victimes peuvent s’exprimer devant d’autres personnes qu’elles n’ont jamais rencontrées auparavant », a expliqué le président du 13-N. « Des ateliers spécifiques sont proposés pour donner des conseils sur le fonctionnement du tribunal : quel rôle jouent les différentes parties, leur place dans la salle d’audience, détails sur la procédure. »

Au cours de l’été, les victimes ont également visité la salle d’audience spéciale qui a été mise en place pour le procès.

« Les visites préalables sont très importantes car elles aident à réduire les niveaux d’anxiété », a déclaré Duperron de 13-N. « Plus vous connaissez l’endroit, plus il vous sera facile de parler librement. »

À l’intérieur de la salle d’audience spéciale construite pour le procès des attentats de Paris en 2015

A chaque réunion préparatoire, de nombreuses questions ont été posées. « Mon témoignage va-t-il me mettre en danger ? Pourrais-je mettre en danger mes proches ? Nous recevons toutes sortes de questions », a expliqué Damiani.

« D’autres veulent savoir combien de temps ils vont parler, de quoi ils auront à parler, s’ils peuvent dire oui ou non », a déclaré Duperron. On ne donne pas vraiment d’instructions précises, mais on essaie de rassurer les victimes pour qu’elles soient le plus détendu possible lorsqu’elles témoignent. »

Face au tribunal et à la presse

Plusieurs témoins ne savent toujours pas s’ils veulent s’exprimer, que ce soit devant le tribunal ou devant le large contingent de journalistes français et internationaux couvrant le procès. Environ 141 organisations médiatiques ont reçu une accréditation pour le procès.

« Le nombre donné de 300 victimes qui sont prêtes à témoigner n’est qu’une estimation », a déclaré Damiani de PAV75, notant que beaucoup hésitaient encore. De telles hésitations sont parfaitement normales ; ce n’est pas facile pour eux », a-t-il ajouté.

Le tribunal s’est également efforcé de protéger les plaignants et les membres de leur famille qui ne veulent pas être dérangés par les médias couvrant le procès. Ceux qui sont prêts à parler à la presse portent un badge vert, tandis que d’autres en ont un rouge.

« En fin de compte, le tribunal a décidé de donner les deux couleurs à chaque plaignant, au cas où ils changeraient d’avis au fur et à mesure que le procès progressait », a déclaré Duperron. « Je pense que c’est une excellente idée.

« On ne peut qu’applaudir le niveau de soins apportés aux victimes », a déclaré Duperron. « Il ne peut y avoir de prudence excessive dans le traitement d’une telle douleur. »

Cet article a été adapté de la version anglaise

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