Dès fin décembre 2021, les patients séropositifs qui le souhaitent pourront, s’ils remplissent certaines conditions, remplacer leur pilule quotidienne par des injections intramusculaires tous les deux mois. « Une révolution », « une vraie charge en moins », racontent à France 24 certains d’entre eux, qui ont déjà abandonné leur boîte de pilules.

Chaque jour depuis un an, à 12h30 précises, le téléphone de Mathieu* a sonné, marquant l’heure de prendre sa pilule quotidienne. Mais depuis le 11 février, son réveil ne sonne plus à l’heure du déjeuner. Ce franco-algérien de 45 ans, testé positif au VIH en juin 2020, est l’un des premiers patients à voir sa médication quotidienne remplacée par un nouveau traitement disponible en France : les injections intramusculaires tous les deux mois. « C’est super ! Aujourd’hui, c’est un vrai soulagement… qui n’a pas de prix », a-t-il déclaré à France 24.

Ce traitement est remboursé en France à partir de décembre 2021, après deux ans d’essais cliniques. Plus précisément, il s’agit d’une combinaison de deux médicaments antirétroviraux, le cabotégravir et la rilpivirine. Comme tous les virus, le VIH mute et peut donc développer une résistance à certains médicaments. Pour le contrer, les médecins le traitent avec des trithérapies ou bithérapies, c’est-à-dire qu’ils mélangent des antirétroviraux pour mieux contrôler la réplication du virus.

Avec ce traitement injectable, la méthode ne change pas. Seulement, au lieu de prendre des pilules quotidiennes, les patients peuvent se rendre à l’hôpital tous les deux mois et recevoir une double injection. « Les essais cliniques ont montré que les deux traitements sont aussi efficaces, la seule chose qui change, c’est la forme », a déclaré Bruno Spire, directeur de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et président d’honneur, à France 24 des Aides association.

« Plus il y a de traitements, mieux c’est », a-t-il déclaré. « Cela ne conviendra pas à tous les patients, mais cela peut faciliter la vie des autres. Et c’est de cela qu’il s’agit : permettre à chacun de trouver quelque chose qui fonctionne pour lui. »

Cachez votre statut sérologique

Mathieu a saisi l’opportunité dès qu’elle s’est présentée. « J’ai découvert le traitement par injection à partir de juin 2021. Je me suis immédiatement mis dedans », dit-il. « Malheureusement, le démarrage a été ralenti par la pandémie de Covid-19 et je n’ai pu démarrer que le 11 février. »

Sa principale motivation pour arrêter la pilule : pouvoir garder plus facilement secrète sa séropositivité. Seuls sa sœur et ses amis les plus proches sont au courant de sa situation. « Les premiers mois, c’était très difficile pour moi d’en parler, j’étais gênée. Et j’ai toujours peur d’affronter la sérophobie et de ne pas connaître le sida », explique-t-elle.

Souvenez-vous, par exemple, de la gêne que vous ressentiez lorsque vous deviez prendre vos médicaments au milieu d’un repas avec des collègues ou des amis. « Il devait toujours inventer une histoire. Il disait qu’il prenait des vitamines parce qu’il était fatigué », raconte-t-il. « C’est fini maintenant ! »

« Le sida reste un stigmate. Pour certaines personnes, notamment celles en situation de grande précarité ou les immigrés, le VIH est même un sujet très tabou », Víctor Galarraga, militant de l’association Aides, qui œuvre pour l’accès de tous aux soins de santé. « Pour eux, le traitement par injection pourrait être une vraie révolution. Je connais des gens qui doivent encore cacher leurs boîtes de médicaments. »

Vingt comprimés il y a vingt ans

Lionel a également décidé d’abandonner les pilules au profit des injections. Il n’avait que 23 ans lorsqu’il a appris qu’il était séropositif. En 30 ans, il a vu de nombreuses avancées thérapeutiques dans la lutte contre le sida. « Pendant les dix premières années, je ne me suis pas soigné. Il n’y avait pratiquement pas de traitements et les rares protocoles étaient très lourds », se souvient-il, contacté par France 24. « Mais mon état a fini par se détériorer et je n’avais plus le choix. »  » Les premières trithérapies ont été introduites en 1996.

« Au début, je devais prendre environ 20 pilules par jour à heures fixes. Cela me causait des effets secondaires comme la diarrhée, des maux de tête et de la fatigue. C’était très ennuyeux », dit-il. « Maintenant, ils me proposent des injections simples tous les deux mois, bien sûr que je suis partant ! »

« C’est vraiment révolutionnaire », insiste-t-il. « Sans parler du fait qu’avec cela, vous n’avez plus à vous soucier de voyager. Vous n’avez plus besoin d’emporter vos médicaments avec vous, au risque de poser des questions désagréables. »

Cependant, tous les patients séropositifs ne sont pas éligibles à ce nouveau traitement injectable. Il ne peut être administré qu’aux personnes dont la charge virale est stable depuis au moins six mois. Il est également contre-indiqué chez les personnes ayant déjà connu une résistance ou un échec thérapeutique.

« Et certains préfèrent rester avec les tablettes », précise Bruno Spire, de l’Inserm. Dans une étude menée par son association auprès de 581 personnes, majoritairement des hommes (80%) nés en France, 48% des sondés se disent très intéressés et 30% assez intéressés. « Les pilules ont un côté apaisant. En les prenant tous les jours, on se sent maître de sa maladie », explique Mathieu. « Il m’a fallu plusieurs semaines pour retirer l’alarme de mon téléphone », avoue-t-il en riant.

Accès difficile pour les populations vulnérables

« Un autre des principaux obstacles au traitement injectable est qu’en ce moment, vous devez vous rendre à l’hôpital pour l’obtenir », explique Galarraga. « Pour les personnes qui sont loin du système de santé, c’est déjà compliqué d’aller à la pharmacie et d’être suivi par un médecin, donc d’aller à l’hôpital », poursuit-il : « c’est bien dommage, car ce sont les gens qui, sans sans aucun doute, la plupart dont ils auraient besoin. Pour nous, c’est un gain de confort, pour eux, cela pourrait être beaucoup plus ».

Lui-même recevra ses premières injections dans une dizaine de jours. « Tous les jours, quand je prends mes médicaments, ça me ramène à ma maladie. Avec les piqûres, ce ne sera plus le cas », dit-il.

Face à cette avancée thérapeutique, Victor, Mathieu et Lionel partagent le même espoir : qu’il soit un pas de plus avant la mise en place de traitements de très longue durée, voire l’arrivée d’un vaccin. « Peut-être que bientôt nous ne pourrons plus prendre qu’une pilule tous les six mois, ou se faire une injection tous les ans », espère Mathieu.

« Aujourd’hui, on vit très bien avec le VIH, notre espérance de vie est longue et, avec les piqûres, notre quotidien est encore plus léger », insiste Mathieu. « Le véritable obstacle qui persiste, et ce qu’il faut vraiment changer, c’est l’image que les gens se font d’être séropositif. C’est la chose la plus difficile à vivre, le regard des autres. »

De son côté, Bruno Spire, de l’Inserm, rappelle que, même si les traitements progressent, il ne faut pas oublier l’importance du dépistage et de la protection, notamment grâce à la Prep (prophylaxie pré-exposition), le traitement de prévention du VIH. En France, on estime qu’il y a actuellement 180 000 personnes infectées, dont près de 25 000 ne le savent pas.

*Le nom a été changé

*Article adapté de son original en français

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