Cuba va-t-il vers une économie libérale  comme en Chine ?

Cuba va-t-il vers une économie libérale  comme en Chine ?

Le régime castriste vient de lancer de profondes réformes économiques, qui bouleversent le pays : la presse officielle le reconnaît même si elle se garde bien d’évoquer une “voie chinoise”.

OUIMais la marche sera longue

Acento, Saint-Domingue

Depuis qu’a commencé timidement, il y a plus de vingt ans désormais, le processus de réforme économique qui devait autoriser l’activité économique privée et le travail indépendant, jamais l’État cubain n’avait annoncé pareil train de mesures de privatisation des secteurs de production de biens et de services [lire ci-dessous]. À brève échéance cependant, ces mesures ne seront rien d’autre qu’une béquille pour un système politico-économique soumis à une agonie aussi interminable qu’irrémédiable.

Selon les chiffres du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, Cuba comptait en avril dernier 595 559 travailleurs indépendants, soit un peu plus de 13 % de la population active. Des chiffres appelés à s’envoler sous l’effet des nouvelles mesures de libéralisation économique, et un phénomène qui ne manquera pas de modifier la société cubaine. Par ailleurs, certains métiers n’ayant pas encore été libéralisés, en particulier du côté des ingénieurs, architectes et médecins, il faut s’attendre à ce que ces secteurs, et d’autres, accroissent leur pression afin d’obtenir les mêmes droits et d’améliorer leurs conditions de vie précaires.

Le fiasco de la production sucrière

Les ratés ont été nombreux dans la gestion de l’économie cubaine, mais aucun n’aura été aussi retentissant que le fiasco de la production sucrière – alors que le régime castriste s’était fixé, en 1970, l’objectif de produire dix millions de tonnes de sucre, aujourd’hui encore, seul un million de tonnes sort des champs de canne. Cette illusion aura été fatale au système productif cubain. Comme d’autres expérimentations du socialisme, la version cubaine meurt de son incapacité à produire les biens et services indispensables au quotidien de sa population.

Pénurie, absence de contrôle démocratique des citoyens sur les dirigeants et gestion des affaires publiques sans aucune transparence ont pour effet de répandre la corruption dans tous les interstices d’une société. Ce sont les privilèges insupportables de certaines coteries ou de certains individus qui ont accès aux biens et services refusés au citoyen lambda, c’est la méritocratie qui se reproduit dans le giron du pouvoir, c’est cette pensée unique qui sanctionne quiconque ose la remettre en cause. Comme le raconte magistralement Leonardo Padura dans son dernier roman, Como polvo en el viento [août 2020, non traduit en français], l’expérience cubaine n’aura échappé à aucun de ces écueils sur lesquels ont déjà échoué toutes les expériences socialistes.

Reprendre le dégel voulu par Obama

Bien avant la chute de l’Union soviétique, l’agriculture cubaine avait entamé son grand déclin, et l’incapacité productive de l’île est telle qu’aujourd’hui elle ne produit que 15 % de ce qu’elle consomme, à en croire plusieurs estimations – aucune société ne peut vivre longtemps ainsi. Les autorités cubaines ont bien fait des efforts pour sauver l’agriculture en libéralisant la production, et le secteur tirera sans doute parti de l’expansion du secteur privé et de la multiplication des marchés et des restaurants. L’économie cubaine gagnerait aussi beaucoup à ce que prenne fin la politique d’asphyxie voulue par Trump et à ce que reprenne, avec Joe Biden, le dégel entamé sous Obama.

Cuba a de grandes réussites sociales et scientifiques à son actif, c’est incontestable. Les dernières mesures économiques en date sont un nouveau pas dans la longue marche cubaine pour reproduire dans la zone Caraïbe l’étrange modèle bâti par la Chine en Asie : celui d’un capitalisme d’État soutenu par l’armée et un parti unique (ce que ne prône pas le marxisme), deux institutions qui ne connaissent que l’obéissance aveugle. Une société qui repose sur ces deux piliers porte en elle les germes de son effondrement et, à terme, de sa destruction. Si le capitalisme classique dans ses diverses déclinaisons croît en détruisant la nature, le capitalisme d’État ne doit sa survie qu’à la répression la plus impitoyable : dans les deux cas, ces systèmes ne sont pas viables.

Des réformes économiques ne peuvent à elles seules guérir la profonde fracture de la société cubaine : celle-ci a besoin aussi de remèdes sociaux. La libéralisation du travail n’est rien, à terme, sans la liberté politique.

– César Pérez, publié le 10 février 2021

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NONIl s’agit juste de défendre le consommateur

La très large ouverture du travail au secteur privé, début février – accompagnée d’une libéralisation des prix qui ne dit pas son nom –, a été saluée comme il se doit par la presse officielle cubaine. La mesure annoncée prévoit – progressivement – l’ouverture au secteur privé de 2 000 activités professionnelles alors qu’elles n’étaient que 127 dans la précédente législation. “Une ouverture sans précédent”, se félicite le 16 février le quotidien officiel du Parti communiste cubain, Granma. Seuls 124 métiers resteront dans le giron de l’État communiste.

La nouvelle législation ne fait état que des exceptions, ce qui suppose que tout le reste de l’activité économique du pays sera ouvert au privé. Parmi ces exceptions, outre évidemment les forces de l’ordre et la Défense : l’enseignement (sauf pour certaines matières comme les langues étrangères ou la musique), la médecine ou encore le journalisme, l’impression de journaux, la production culturelle en général.

“Nouvelle source de vitalité”

La réforme, “non contente de créer des emplois, sera pour l’économie une nouvelle source de vitalité, de diversification et de compétitivité”, écrit Granma en citant le vice-Premier ministre – également chargé du portefeuille de l’Économie –, Alejandro Gil Fernández. “Le statut d’indépendant concerne aujourd’hui plus de 600000 travailleurs, soit 13 % des personnes en activité à Cuba. Ces dernières mesures ont pour but de consolider cette forme d’emploi”, poursuit le journal officiel qui, selon la rhétorique habituelle du régime, accuse l’embargo américain d’avoir “aggravé les difficultés du secteur privé cubain”.

Avec la réforme monétaire, toute récente également, le pays se dirige-t-il vers une version “chinoise” ou “vietnamienne” du communisme ? Rien de moins sûr, toujours selon la presse officielle. Simplement, écrivait le 6 janvier le quotidien des Jeunesses communistes, Juventud Rebelde, le Cubain est désormais “un consommateur plus actif et défenseur de ses droits”. La “révolution” monétaire entrée en vigueur le 1er janvier a consisté à supprimer le peso CUC (équivalent du dollar) pour ne laisser en circulation que le peso cubain (24 fois plus faible). Il s’agissait en fait d’un prétexte trouvé par l’État pour cesser de subventionner une immense liste de produits – depuis le pain jusqu’à l’électricité et le gaz. Et accepter de “dollariser” un énorme pan de l’économie – cette économie informelle qui se nourrit d’importations informelles.

“Si un emballement inflationniste était bien le risque de ce remède de cheval qui a été apporté à notre économie, il faut espérer que le résultat ne se retrouvera pas grevé par le désengagement, le relâchement, l’immobilisme de la fonction publique et la résistance bureaucratique à ces changements libérateurs qui marquent la nouvelle stratégie économique”, s’inquiète Juventud Rebelde alors qu’un congrès du PCC doit débuter le 11 avril. “Les autorités nationales n’ont pas opté pour un coup sec et irréversible, à l’image de ces grandes réformes aveugles que l’on voit tant ailleurs dans le monde”, défend le journal.

Juventud Rebelde prône une sorte de réconciliation entre les élites et le peuple, qui s’est senti lésé par les augmentations des prix à la suite de la réforme monétaire :

Les ministres sortent de leur bureau pour se montrer dans tous les espaces de communication, comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant, pour échanger avec les Cubains […]. Et cette interaction touchera tout le corps de la nation, pour le tirer vers le haut.”

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