Les différents pays alpins se sont accordés sur une fermeture des remontées mécaniques afin d’éviter que les traditionnelles vacances à la neige ne donnent lieu à des foyers épidémiques. Une seule exception, observe la chaîne américaine CNN : la Suisse, pays non membre de l’Union européenne.
La décision récente de la France de fermer les remontées mécaniques en raison des craintes liées au Covid-19 a causé une grande déception chez de nombreux amateurs de sports d’hiver. Elle est apparue tellement catastrophique à Catherine Jullien-Brèches qu’elle en a pleuré. “J’en ai eu les larmes aux yeux, je me suis sentie si impuissante”, nous a confiés la maire de Megève.
L’annonce le mois dernier de cette fermeture par le Premier ministre, Jean Castex, a douché tous les espoirs d’ouverture des stations de ski françaises pour la période de Noël, normalement très chargée, et cette mesure va entraîner un manque à gagner de plusieurs milliards pour l’industrie du tourisme.
Le silence devrait envelopper les destinations montagnardes en France, laquelle a été imitée peu après par d’autres nations alpines comme l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche. Leurs pistes enneigées ne seront quasiment pas perturbées par le bruissement habituel des skis et des snowboards.
Le mauvais souvenir du cluster d’Ischgl
Et pourtant, à moins de 100 kilomètres de Megève, dans ces mêmes montagnes, les pistes restent ouvertes aux skieurs. En effet, dans la ville suisse de Verbier, les télésièges vont continuer à transporter les visiteurs vers le sommet du vaste domaine skiable des 4 Vallées.
Les bars et restaurants auront toujours des clients pour boire leur vin chaud et manger leur fondue.
Pourtant, dans l’industrie du ski en Europe, rares sont ceux qui ont oublié ce qui s’est passé l’hiver dernier, lorsque la station de ski autrichienne d’Ischgl a été considérée, pendant un temps, comme le point de départ de l’épidémie de Covid-19 sur le continent.
Mais si la Suisse peut ouvrir ses pentes en toute sécurité, pourquoi les autres pays ne peuvent-ils pas en faire autant ? Telle est la question que se posent les personnes touchées par ces fermetures.
La mairie de Megève ne pourra pas soutenir le secteur
À Megève, la fermeture des remontées mécaniques va entraîner huit millions d’euros de manque à gagner, et, selon Catherine Jullien-Brèches, pour chaque euro perdu sur les pistes, sept autres le seront dans les hôtels, restaurants et bars du village.
Elle craint que de nombreuses entreprises locales risquent tout simplement de ne pas survivre :
J’aimerais pouvoir faire quelque chose, mais nous n’allons pas être en mesure de soutenir les entreprises qui ont vraiment besoin de notre aide.”
Phénomène rare : une manifestation a eu lieu le 30 novembre dans le très huppé centre-ville de Megève. Mais, comme leur maire, les habitants savent qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose.
Michel Cugier, qui dirige les remontées mécaniques de Megève, s’était préparé à ouvrir avec des mesures de distanciation physique adaptées pour garantir le bon déroulement de la saison. Au lieu de cela, il s’apprête à congédier la plupart de ses 250 employés saisonniers. “C’est vraiment injuste, soupire-t-il, j’avais travaillé à mettre en place tout un protocole anti-Covid et j’espérais vraiment que nous ouvririons.”
Une décision difficile à prendre
Dix millions de visiteurs affluent en France chaque année pour skier, ce qui permet de générer 10 milliards d’euros de recettes et de créer 120 000 emplois, selon la chambre professionnelle Domaines skiables de France.
D’autres stations françaises ont également connu des défilés de protestation contre cette décision. Dans la ville voisine de Bourg-Saint-Maurice, les manifestants portaient des panneaux symbolisant des cœurs brisés pour exprimer leur frustration face à l’interdiction générale, tout en réclamant que le gouvernement sauve leurs emplois.
Leur colère a été attisée par l’ouverture de stations juste de l’autre côté de la frontière, en Suisse.
Les décisions de fermer les pistes en Allemagne, en France, en Italie et en Autriche n’ont pas été faciles à prendre. D’ailleurs, l’Autriche avait d’abord annoncé son intention de poursuivre normalement la saison, avant de céder finalement aux pressions de ses partenaires de l’UE, sauf pour l’ouverture des remontées mécaniques à partir de la veille de Noël, qui sera autorisée pour les résidents locaux [puisque les hôtels et restaurants resteront fermés jusqu’en janvier].
L’objectif de cette décision, alors que l’Europe continue de lutter contre sa deuxième vague de Covid-19, est d’éviter la création de cluster du genre de celui associé au nom d’Ischgl, en Autriche, lors de la première vague.
Mais le prix à payer menace d’être colossal. Chaque année, le ski en Europe rapporte 34 milliards d’euros de recettes, soit la moitié du total mondial, selon Laurent Vanat, consultant spécialiste de l’industrie du ski.
“La donne n’est plus la même”
Retournons en Suisse, ce pays non membre de l’UE. Selon Laurent Vaucher, le directeur des remontées mécaniques de Verbier, depuis qu’Ischgl a été identifié par les autorités sanitaires comme un élément clé de la première vague européenne de Covid-19, on sait désormais beaucoup plus de choses : “À l’époque, nous n’avions mis en place aucune des nouvelles mesures”, souligne-t-il.
Nous n’avions pas de masques, nous n’avions pas les règles de distanciation physique. Par conséquent, aujourd’hui la donne n’est plus la même, et nous sommes pratiquement sûrs de pouvoir garantir la sécurité sanitaire dans les stations de ski.”
À Verbier, les skieurs doivent désormais porter des masques sur les remontées mécaniques. Les files d’attente sont encadrées, avec des distances de sécurité à respecter et un nombre réduit de personnes autorisées dans les télécabines.
Des mesures ne sont pas seulement prises sur les pistes, mais aussi dans le village, où le port du masque sera obligatoire pendant les vacances. Les dirigeants locaux affirment avoir travaillé dur pour ne rien laisser au hasard.
“Pour nous, il ne s’agit pas seulement de sauver les vacances de Noël, mais de sauver toute la saison hivernale”, explique Simon Wiget, le directeur de l’office du tourisme de Verbier.
Notre réputation est en jeu, parce que nous savons que tout le monde nous regarde, et que si nous faisons une erreur et qu’à cause de cette erreur il y a un cluster, nous serons critiqués pour notre mauvaise organisation.”
En Suisse, une situation sanitaire critique
Les contaminations par le coronavirus sont en augmentation en Suisse et, depuis samedi [12 décembre], le pays a imposé des restrictions supplémentaires et notamment interdit presque toutes les manifestations.
“La situation concernant le coronavirus se dégrade”, avait tweeté mardi le porte-parole du gouvernement suisse, André Simonazzi. “L’occupation des lits aux soins intensifs reste très élevée et le personnel soignant est épuisé.”
Avec des lits d’hôpitaux en Suisse occupés presque entièrement par des patients atteints du Covid-19, les stations du pays sont désormais sous pression, tenues qu’elles sont d’effectuer une saison touristique avec le moins possible de clusters.
C’est d’autant plus vrai qu’elles sont surveillées de près par les pays voisins, contraints d’imposer des restrictions de voyage pour empêcher leurs propres citoyens de se précipiter de l’autre côté de la frontière pour profiter des pistes suisses.