“Bible The”, le récit biblique revisité dans l’ordre alphabétique

“Bible The”, le récit biblique revisité dans l’ordre alphabétique

Un collectif d’artistes met en vente une nouvelle édition très originale de la Bible. Tous les mots du texte sacré ont été classés dans l’ordre alphabétique. Entre précis d’analyse sémantique et geste artistique, la création interpelle.

Réoganiser l’ensemble des 1 364 pages de la Bible (dans la version britannique du roi Jacques, la King James version) en fonction d’un strict classement alphabétique, voilà un geste que ne renierait pas l’Oulipo de Raymond Queneau et François Le Lionnais. Pas plus que le titre, Bible The, littéralement “Bible La”, dans l’ordre alphabétique toujours.

Joseph Ernst et Jan Van Bruggen, deux artistes du collectif Sideline, ont imaginé ce drôle d’ouvrage qui transforme le texte sacré “en objet quantifiable et analytique”, comme le note le magazine DesignBoom. Outre sa dimension facétieuse, Bible The permet d’analyser en profondeur le champ lexical biblique. Il révèle quelques biais de son langage et donc de sa philosophie.

Le “bien” l’emporte sur le “mal”, les hommes sur les femmes

L’œuvre du collectif Sideline met en évidence que la Bible fonde son récit sur un biais d’abord très positif. Le terme “bon” revient 720 fois, contre 18 occurrences de “mauvais”. “Amour” est utilisé 308 fois, et son antonyme “haine” seulement 87. “Joie” est deux fois plus présent que “triste”, et “juste” quatorze fois plus que “mal”. La “vie”, elle, triomphe sur la “mort” comme le “paradis” sur l’“enfer”.

Dans ce monde heureux, les personnages cités sont humbles. Des “pauvres” plus que des “riches”, des “serviteurs” plutôt que des “nobles”, plus de “prêtres” que de “soldats”. On trouve aussi une population hétéroclite composée d’une majorité de “Juifs” et de “Philistins”, près de 500 citations à parts égales, mais aussi d’“Égyptiens”, de “Syriens”, de “Grecs”, de “Koushis” (des Noirs), d’“Assyriens”, de “Romains”, de “Samaritains”, de “Perses”, de “Babyloniens”, de “Libyens”, de “chrétiens”, et d’“arabes”, avec autant de “croyants” que d’“infidèles”.

La représentation des genres est quant à elle totalement inéquitable avec 1 653 “hommes” pour 181 “femmes”, 1 094 “fils” pour 252 “filles”, 548 “pères” pour 8 “mères”, 7 830 “maîtres” pour 4 “maîtresses” ou encore 5 “déesses” pour 4 440 “dieux”. De quoi questionner les références véhiculées par la culture judéo-chrétienne.

L’art et la data dans un geste dada

“Sans surprise”, écrit DesignBoom, les mots “sexe” et “relation sexuelle” n’apparaissent pas dans la Bible malgré des “concubines”, des “adultères”, des “catins”, des “sodomites”, de la “copulation”, des “pécheresses” et des “prostituées”. C’est passer un peu rapidement sur le fort potentiel érotique de la Bible (lire Le Cantique des cantiques) dissimulé sous le drap opaque de l’analyse sémantique.

Car les mathématiques ne sont pas toutes-puissantes pour interpréter le texte sacré truffé de références, où le verbe “connaître” désigne bien souvent l’acte amoureux. Le logiciel de classement alphabétique échoue à sonder la profondeur du langage, transformé ici en “données brutes et quantifiables”, écrit CNET.

Si Bible The “fait ressortir des chiffres qui interpellent”, d’après le site spécialisé en nouvelles technologies, elle est surtout une œuvre artistique à part entière, comme l’était le projet Nothing on the Internet (“Rien sur Internet”) du même collectif, une extension de navigateur qui transforme Internet en une ardoise vierge”.

Cette œuvre d’art est une autre tentative de revisiter la culture à travers le prisme de la technique. Conçue comme telle, elle a son prix. Sur le site du collectif Sideline, on peut l’acquérir en édition limitée pour la modique somme de 2 000 dollars (10 dollars pour la version numérique). Un prix fantasque qui stimule encore le débat et fera sourire les cousins oulipiens.

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